Pierre Veltz - Carte blanche sur la Métropole du futur

Bio express
Ingénieur, sociologue, enseignant-chercheur, économiste, Pierre Veltz a théorisé, à l’ère de la mondialisation, sur la concentration des activités en vastes régions urbaines mises en réseau. Il a été directeur de l’école nationale des ponts et chaussées et PDG de l’établissement public Paris Saclay.

Savons-nous bien ce que nous entendons par Métropole ? Le concept est d’autant plus mouvant que notre monde global devient incertain. Pour Pierre Veltz, la métropole du futur doit s’inventer à l’échelle de la région, entre zone dense et arrière-pays. Une vision extensive.

Pierre Veltz, qu’est-ce qu’une métropole ?

Vaste question. Le phénomène constaté mondialement est une tendance à la concentration des activités économiques dans les grandes aires urbaines. Ce qui s’est passé en France dans les années 80, où la région parisienne et l’Ile de France ont connu une croissance très forte, notamment de l’emploi. Puis à partir des années 1990, accentuée par la crise de 2009, une croissance plus modérée à stagnante, au profit d’une poussée très sensible des grandes villes françaises, même si toutes n’ont pas connu le même essor. Sur la carte, un u géographique dessine les contours de celles qui ont concentré le plus de croissance : Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon. Cette poussée des métropoles a de nombreuses sources et facettes. Un facteur essentiel est l’étendue du marché du travail. À l’heure où la plupart des ménages comptent deux salaires, où les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses, l’« espace de jeu » doit être plus vaste en offre de services et d’emplois. Voilà pourquoi, aujourd’hui, les gens s’installent plus spontanément à Toulouse plutôt qu’à Montauban ou à Agen. Et quand l’un des deux perd son job, il est souvent plus facile d’y retrouver un emploi. J’ai nommé cela « assurance flexibilité ».

Hors des métropoles point de salut donc ?

La métropole a des atouts particuliers mais je suis très réservé sur ce discours qui laisse croire qu’il n’y aurait d’innovation que dans les métropoles. Ce discours convenu que les économistes mettent en avant pour dire que la métropole est « le lieu de frottement des savoirs ». Certains, tel le sociologue Michel Grossetti, ici à Toulouse, s’insurgent contre cette vision : en réalité, disent-ils, si on regarde en taux relatif de croissance, disons de l’emploi, on constate qu’il y a beaucoup de villes moyennes ou de petites villes qui font aussi bien sinon mieux que les métropoles. L’argument est tout à fait juste. Les métropoles oui, mais arrêtons de les opposer au reste du territoire. À travers cette vision désormais très répandue et véhiculée par les médias, notamment parisiens, qui consiste à penser qu’il n’y a plus que les métropoles qui vont bien et que tout le reste est une terre misérable. C’est absurde! Il y a beaucoup de complémentarités possibles, et sous-valorisées, entre les métropoles et leurs territoires voisins. Il faut avoir une vision extensive et large. La métropole du futur, c’est la zone dense mais aussi l’arrière-pays. Nous avons eu cette discussion sur l’Ile de France. Moi, je milite pour la métropole à l’échelle de la région, avec tous ses départements. Voilà ce qui fait sens aujourd’hui.

Comment expliquer que certaines s’en sortent mieux que d’autres?

Le phénomène est mondial. Je l’ai théorisé il y a plus de vingt ans avec “l’économie d’archipel”, qui s’est vraiment confirmée: une grande partie du développement des activités est captée par les grandes régions urbaines. Plus on monte dans la classe des activités, vers la haute technologie, plus c’est vrai. Toulouse en est un bel exemple. Après l’emploi, vient le rapport qualité/coût de la vie. Il est aujourd’hui franchement meilleur dans les grandes villes régionales qu’en région parisienne, notamment pour les jeunes ménages et les retraités: coût du logement, pénibilité des transports, etc. c’est ce qui explique le passage d’une métropolisation très concentrée sur Paris à une métropolisation qu’on pourrait appeler « distribuée », la France fonctionnant de plus en plus comme une sorte de métropole unique en réseau. Le pôle de Saclay (au sud ouest de Paris dans l’Essonne, NDLR), qui regroupe de nombreux centres de recherche de grandes entreprises, s’inquiète du déficit de jeunes ingénieurs ou techniciens en raison des difficultés de logement et de la pénibilité des transports. Attractives, plus agréables, les métropoles régionales, surtout dans le sud et l’ouest donnent accès aux mêmes services ou presque qu’à Paris. Le boom de l’enseignement supérieur a conduit aussi de plus en plus d’étudiants dans les grandes villes. Tous n’ont pas envie de retourner ensuite dans leur ville d’origine. Toulouse est le meilleur exemple car nous avons ici une activité économique et technologique extrêmement forte, plutôt récente, qui montre que les trajectoires restent très ouvertes.

Verbatim
Arrêtons d’opposer les métropoles au reste du territoire. C’est absurde !