Terre Cabade, « Champ de repos »
Ce n’est qu’en 1840 que Toulouse ouvrit à Terre-Cabade son premier cimetière moderne, loin de la ville mais paradoxalement conçu par l’architecte Urbain Vitry pour « vaincre la répugnance qui éloigne les vivants de ces lieux ».
En matière de mort, les Toulousains avaient leurs usages qui pouvaient étonner les étrangers. Ainsi, point de corbillard ici mais un brancard porté par les collègues ou les proches sur lequel on plaçait le cercueil ouvert afin qu’on puisse voir au moins la tête de la défunte ou du défunt. Et comme une difficulté à laisser les morts sous la terre avec des tombeaux un peu partout dans les églises et monastères et surtout les fameuses expositions de momies déguisées qui faisaient le succès des Cordeliers et des Jacobins. Cette familiarité avec la mort diminua nettement avec la nouvelle réglementation hygiéniste imposée par le Parlement et l’archevêque Loménie de Brienne en 1774-75, interdisant aux particuliers de se faire enterrer dans les églises et entamant un regroupement des cimetières à l’extérieur des murs, effectif en 1780 avec deux nouveaux cimetières au faubourg Saint-Étienne et à la porte de Muret en plus de celui du Bazacle créé dès 1769 par les Capitouls.
Si Toulouse avait été plutôt en avance de ce point de vue, elle tarda ensuite à appliquer la nouvelle législation nationale encore plus stricte instaurée par Napoléon en 1804, qui prévoyait notamment que les cimetières urbains soient installés sur « les terrains les plus élevés et exposés au nord » où on « fera des plantations, en prenant les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l’air ». Si l’on ouvre immédiatement à Paris suivant ces nouvelles règles le cimetière du Père Lachaise, ce n’est qu’en 1824 que l’archevêque de Toulouse fait la demande officielle d’un regroupement des cimetières paroissiaux de la ville d’où deux premiers projets auxquels la mairie ne donne pas suite.
En 1826, Urbain Vitry, neveu de l’architecte de la ville Jacques-Pascal Virebent, envoie depuis Paris où il finit ses études, un tout à fait différent Projet de champ de repos pour la ville de Toulouse parce qu’il propose de le situer sur le coteau des Redoutes (l’un des principaux sites de la toute récente bataille de Toulouse en 1814) où « les arbres, les tombeaux, les urnes, s’élèveront en amphithéâtre » et parce qu’il en fait délibérément un jardin où on cherchera « à vaincre la répugnance qui éloigne les vivants de ces lieux où chaque pas leur offrirait pourtant de si touchantes leçons de morale ». Si son projet final, qu’il signera comme architecte de la ville à partir de 1832, sera quelque peu modifié avec en particulier un site un peu plus à l’abri des regards depuis la ville, restera le souci du paysage et d’une certaine mélancolie pas forcément religieuse qui sera vivement critiqué à l’ouverture de Terre-Cabade en 1840. Une mort un peu cachée, quelque peu sublimée, loin du « dégoutant tableau » offert selon Vitry par les obsèques traditionnelles à la toulousaine où « deux hommes portent la bière dans leurs bras » et « si par hasard l’un d’eux tombe ou fait un faux pas, aussitôt la bière s’échappe de leurs bras et l’on est exposé à voir le cadavre gisant sur le pavé ».
À lire : Marie-Laure de Capel, Urbain Vitry, Terrefort, 2016 ; Michel Taillefer, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Perrin, 2000.
Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Marine Delouvrier,
Pierre-Alexandre Soulat
Merci à la Direction du Patrimoine.
Ci-contre à gauche :
le premier cimetière ouvert en 1840 1 sur dix hectares d’un site auparavant dévolu aux excavations des briqueteries 2 (d’où son nom signifiant "terre creusée" en occitan) et son extension dans les années 1920 avec les divers agrandissements du XIXe siècle 3 puis le nouveau cimetière de Salonique (et son monument aux morts de l’expédition d’Orient 4 ) ouvert en 1915.
Ci-dessus : l’entrée monumentale conçue par Urbain Vitry avec les deux obélisques de briques 5 et les deux pavillons à galerie couverte 6 (pour le personnel de service et les prêtres desservants) eux aussi en briques et directement inspirés des relevés faits lors de la campagne d’Égypte par Vivant Denon. Vitry insista pour qu’on ne les badigeonne pas comme cela se faisait à l’époque. Cette entrée peu connotée religieusement fut très critiquée à l’ouverture du cimetière en 1840.