Jean-Luc Moudenc - Interview
Bio express
Réélu maire de Toulouse en 2020, Jean-Luc Moudenc est également président de Toulouse Métropole, fonction qu’il occupe depuis 2014. Il exerce une activité professionnelle à temps aménagé comme contrôleur général économique et financier au ministère de l’Économie et des Finances. Élu député en 2012, il démissionne de l’Assemblée nationale en 2014 pour se consacrer à son mandat de maire, anticipant de plus de trois ans la loi interdisant le cumul des mandats. Il a aussi été président de France Urbaine, l’association qui fédère les grandes villes et métropoles de notre pays, de 2014 à 2020.
« J’AI CONFIANCE EN NOS CAPACITÉS DE REBOND »
Vous avez souhaité que la Métropole soit dirigée en surmontant les clivages politiques. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Dépasser les clivages politiques permet d’éviter les divisions qui retardent les décisions. Dès le début du mandat, avec 34 maires sur 37 et 108 élus métropolitains sur 133, nous avons signé un texte qui nous engage sur les grandes orientations de l’action métropolitaine jusqu’en 2026. Ce texte est donc approuvé par des élus de droite, de gauche, du centre, des élus de la société civile sans étiquette ou indépendants. Cela signifie que la Métropole sera un lieu de cohésion.
En quoi la crise sanitaire a modifié vos priorités ?
Nous avons fait émerger une nouvelle priorité : la santé. La crise sanitaire entraînant une crise économique, nous avons inscrit l’emploi au 1er rang des priorités. Et parce que la crise économique va également se traduire par une crise sociale, nous avons intégré la nécessité d’être aux côtés des plus faibles.
Cette solidarité passe par le plan de relance pour l’emploi élaboré pendant le confinement ?
Oui. Ce plan de relance va aider les entreprises et soutenir l’emploi en dopant l’investissement public. Nous avons décidé d’anticiper des réalisations que nous projetions plus tard et de rajouter des opérations qui n’étaient pas prévues. Le but est de passer davantage de marchés publics que prévu cette année pour faire travailler les entreprises. Ensuite, nous voulons aider les filières stratégiques, souvent en collaboration avec le conseil régional, par exemple via un engagement exceptionnel pour l’aéronautique de 10 millions d’euros (lire aussi notre dossier pages 16 à 20).
Comment la Métropole va-t-elle aider les personnes en recherche d’emploi ?
D’abord, nous créons une plateforme web qui va proposer en ligne des milliers de postes et des formations. Ensuite, nous allons accompagner les demandeurs d’emplois dans leurs recherches, leurs entretiens d’embauche, leurs candidatures, car beaucoup d’entre eux n’ont jamais vécu cette situation. Nous allons également augmenter de 50 % l’offre de travail en insertion dans les travaux publics. Enfin, lorsque les conditions sanitaires seront réunies, je souhaite organiser des " jobs dating " dans les quartiers.
Comment garantir l’attractivité du territoire et son dynamisme économique ?
Nous avons engagé la diversification de l’économie toulousaine il y a des années. L’économie de la santé s’est déjà beaucoup développée et va encore évoluer avec la dynamisation de l’Oncopole, le Campus Santé du Futur. Nous avons aussi développé le tourisme, qu’il soit d’affaires ou de particuliers. Même si ce secteur est fortement atteint par la conjoncture, je suis sûr qu’il rebondira. L’ouverture du MEETT – le nouveau parc des expositions et des congrès – représente un apport considérable. Grâce à lui, Toulouse se hisse au 3e rang national, hors Paris, en termes de capacités d’accueil. Lorsque nous serons sortis de la crise, nous serons armés comme jamais auparavant pour accueillir des événements qui vont générer des retombées économiques et d’emplois considérables.
De nouveaux secteurs innovants émergent-ils ?
Ces dernières années, nous avons beaucoup investi dans l’économie numérique, laquelle a plutôt été dopée par la crise avec le développement du télétravail, ce qui devrait se prolonger. L’économie numérique a un bel avenir, nous sommes identifiés dans ce domaine au niveau national. Nous avons également pris de nombreuses initiatives concernant les mobilités du futur. Je pense par exemple au projet VILAGIL – qui développe des solutions liées à la mobilité aérienne urbaine – ou au site Francazal que nous avons récemment acquis pour y accueillir des entreprises et de nouveaux emplois tournés vers les déplacements de demain. Voilà un certain nombre de secteurs prometteurs, et il y en d’autres. Tout cela me rend optimiste quant à nos capacités de rebond.
VERBATIM
J’exclus catégoriquement d’augmenter les impôts.
La crise économique remet-elle en question les grands projets tels que la 3e ligne de métro ?
Remettre en cause les grands projets serait suicidaire. Les grands projets incarnent des perspectives de développement, ils sont la promesse de retombées économiques et donc de créations d’emplois. À lui seul, le chantier de la 3e ligne de métro représente 23 500 emplois. Au moment où l’emploi est fragilisé, supprimer les grands projets infligerait une double peine aux habitants.
Prévoyez-vous d’augmenter les impôts pour les réaliser ?
Je l’exclus totalement. La crise économique se traduit par des pertes de revenus et de pouvoir d’achat pour de nombreuses familles. Là aussi, une hausse d’impôts infligerait une double peine, sociale cette fois. Je l’exclus donc catégoriquement. Pour autant, nous savons que les finances de la collectivité seront forcément abimées par la crise, et ce dans une mesure que nous ne pouvons pas encore évaluer précisément. Cela conduira sans doute à repenser les calendriers. Je préfère retarder des projets plutôt qu’y renoncer ou taxer davantage les habitants de la Métropole. Je suis certain que les citoyens le comprendront. Par ailleurs, je compte bien, pour tel ou tel projet, obtenir des financements de l’État. Son plan de relance met 100 milliards sur la table. Cela n’était jamais arrivé auparavant.
La filière aéronautique a été très touchée par la pandémie. Comment la soutenez-vous ?
J’ai confiance en l’industrie aéronautique et, surtout, en celles et ceux qui en sont les acteurs à Toulouse. Dès le début de la crise, j’ai dialogué avec les grands acteurs de l’économie aéronautique tout en multipliant les démarches auprès du gouvernement en faveur de ce secteur. Résultat, l’État a mis sur pied un plan de 15 milliards d’euros de soutien à la filière. Bien que cela ne relève pas de notre champ de compétences, la Métropole participe plus modestement à travers un crédit exceptionnel de 10 millions d’euros que nous avons inscrit dans notre propre plan de relance métropolitain.
Comment maintenir la place de la culture dans ce contexte sanitaire ?
Nous avons de grands projets culturels, comme la Cité de la danse à Reynerie, la Cité des arts à La Grave, la Cité de la musique à St Michel, le développement du Château d’eau avec la mise en valeur de la collection de Jean Dieuzaide. Tous ces projets seront mis en oeuvre. Ils bénéficieront à de nombreux acteurs culturels du territoire et leur permettront de se projeter sur du long terme. Nous échangeons beaucoup avec les acteurs culturels. Forts de ce dialogue, nous avons débloqué des fonds de soutien et mis en place des aides ciblées pour répondre précisément à leurs besoins.
Des aides sont-elles prévues pour les personnes fragilisées par la crise économique et sociale ?
Nous avons lancé début juin un plan de lutte contre la précarité qui s’élève à 17,5 millions d’euros. Le fonds de solidarité logement a été mobilisé, notamment pour aider les locataires en difficulté à payer leur loyer. Ce plan facilite également l’accès à l’alimentation, soutient les associations, lutte contre le décrochage scolaire et renforce nos actions pour l’insertion et l’emploi.
Participation citoyenne, écomobilités, transition digitale… De nouvelles vice-présidences ont été attribuées. Quels sont vos projets les concernant ?
De nouvelles responsabilités ont été attribuées aux vice-présidents de la Métropole* pour tenir compte des nouvelles attentes des citoyens. À commencer par la participation citoyenne, qui fait l’objet d’une nouvelle vice-présidence. Même si nous agissons déjà beaucoup en la matière, nous devons aller plus loin. La Métropole est souvent perçue comme une collectivité technocratique, éloignée des gens. Nous souhaitons nous rapprocher des habitants pour qu’ils puissent s’exprimer, peser dans la définition et la mise en oeuvre des projets métropolitains. 2e enjeu, les écomobilités se voient également dédier une nouvelle vice-présidence sur la thématique du vélo. Dans une métropole aussi dynamique que Toulouse, le besoin croissant en déplacements ne doit pas être absorbé exclusivement par la voiture individuelle. Plus que jamais, nous devons développer les écomobilités. Cela se traduit par plus de place pour les piétons, plus d’itinéraires cyclables, et par la sécurisation de ces espaces. Cela veut dire aussi davantage de transports en commun. C’est la raison pour laquelle nous sommes en plein chantier du téléphérique Téléo, nous lançons de nouvelles lignes de superbus performants Linéo, nous préparons le démarrage de la 3e ligne de métro… Tout cela participe à l’écomobilité. Enfin, une 3e nouvelle vice-présidence est consacrée à la transition digitale qui répond elle aussi à une demande de nos concitoyens. Ils souhaitent davantage de services en ligne pour simplifier leurs formalités administratives. À l’échelle d’une Métropole, cela représente un enjeu technique important.
* équivalent des adjoints au Maire, mais pour la Métropole
Les élections de juin ont confirmé l’importance de l’écologie. Comment allez-vous l’intégrer à l’échelle de la Métropole ?
Les actions de la Métropole seront menées dans le respect du développement durable et de la transition énergétique. Comme je l’ai évoqué, l’écomobilité prend une importance plus forte. Nous travaillons aussi à la création de cinq grands parcs sur l’agglomération toulousaine. À partir du 2e trimestre 2021, une zone à faibles émissions sera instaurée sur la partie la plus polluée de l’agglomération pour interdire l’accès des véhicules les plus polluants et un dispositif sera mis en place pour soutenir l’achat de véhicules plus vertueux. Enfin, un gros travail est prévu pour la rénovation énergétique des bâtiments publics et des logements. Le bénéfice sera double : moins de consommation énergétique – donc plus de ressources pour la planète – et moins de coûts pour les ménages, avec des économies sur le chauffage par exemple. Ces dernières années, nous avons été l’une des grandes villes les plus dynamiques en matière d’énergies renouvelables en développant réseaux de chaleur - système de canalisations où circule de l’eau chauffée grâce à l’incinération des déchets - photovoltaïque, centrale de méthanisation, hydroélectricité… Nous allons amplifier notre action dans ce sens.
VERBATIM
Les actions de la Métropole seront menées dans le respect du développement durable et de la transition énergétique.
Logement, urbanisme… Des projets pour un meilleur cadre de vie ?
Oui, chacun aspire à ce que le développement urbain de la Métropole se poursuive de manière plus harmonieuse. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus avec mes collègues Maires et un nouveau plan d’urbanisme, le “PLUi-H”, est entré en vigueur l’année dernière. Nous allons l’améliorer, notamment pour accorder encore plus de place à la nature en ville.
Ce nouveau mandat entre de plain-pied dans « le monde d’après ». Comment imaginez-vous « la métropole d’après » ?
Je l’imagine plus mobile, il sera plus facile de s’y déplacer avec plus de choix. Et ce, dans le respect de l’environnement, grâce au développement des écomobilités. Elle sera plus écologique et accordera plus de place à la nature. Non seulement elle aura surmonté la crise, mais elle en aura profité pour devenir plus agréable à vivre, moins polluée. Cette « métropole d’après » aura gagné la bataille de l’emploi. Nous allons être bousculés comme toutes les métropoles françaises, c’est inévitable. Mais nous avons les ingrédients pour rebondir : des compétences technologiques, des atouts majeurs en matière de recherche, notre dynamisme universitaire… Nos forces vont jouer en notre faveur et nous permettre d’être au rendez-vous dans le « monde d’après ».