Audrey Dussutour - Éleveuse de blob
La directrice de recherche au CNRS a reçu l’Ordre national du mérite en 2021 pour ses travaux sur le blob, une étrange créature des sous-bois. En popularisant avec humour cet être à part, elle en fait un outil de médiation pour donner le goût de la science aux plus jeunes.
De multiples boites contenant le blob et des flocons d’avoine (sa nourriture) peuplent le labo d’Audrey
- 2009 Poste au CNRS. « Le graal ». Comme tout chercheur, elle a travaillé d’arrache-pied pour cela
- 2017 Publication de son livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander
- 2021 Le blob embarque avec Thomas Pesquet dans l’espace. Nouvelles aventures en perspective !
Look un peu rock, yeux pétillants et grand sourire… Audrey Dussutour attire d’emblée la sympathie. Elle se livre avec aisance et simplicité. Née en 1977 à Rodez en Aveyron, elle est un « pur produit de l’Université », en l’occurrence Paul-Sabatier, où elle obtient un doctorat d’éthologie en 2004. Ses aventures avec le blob commencent en 2008, pendant son deuxième « post-doc » à Sydney. Son truc, c’est les fourmis, mais elle tombe sur les travaux du Japonais Toshiyuki Nakagaki sur un organisme unicellulaire dépourvu de système nerveux, présent en forêt depuis des centaines de millions d’années. Physarum polycephalum ou le fameux blob. Jaune et informe, c’est une sorte « d’omelette » qu’elle apprend à « apprivoiser ». Elle y consacre un premier article puis rentre en France, « le blob dans ses valises », pour prendre son poste au Centre de recherches sur la cognition animale, à Toulouse. Elle poursuit ses expériences sur les fourmis, jusqu’au jour où un de ses étudiants « réveille » le blob. En 2016, elle démontre que l’organisme est capable d’apprendre sans cerveau. Cette fascinante découverte vient bousculer la connaissance sur l’intelligence du vivant. L’article fait du bruit. En escapade aux îles Galapagos, elle se prête à des interviews radio du haut d’un volcan. Déjà, une seconde expérience est en cours. C’est alors qu’une journaliste du Point « va changer sa vie » en la persuadant d’écrire un livre. Six mois plus tard, c’est fait. Elle y raconte avec humour les incroyables facultés du blob, mais aussi la vie de chercheuse, les difficultés de la recherche fondamentale - qui devient recherche de financement. En 2019, la sortie du film Le blob, un génie sans cerveau, réalisé par « l’exceptionnel » Jacques Mitsch et produit par Arte, couronne une aventure d’un an de tournage. En parallèle, devant l’enthousiasme que le blob suscite, elle multiplie les interventions dans les écoles, va aussi en EHPAD, en prison…
Star de la science
En 2021, le blob part dans l’espace. Mission : se prêter à une expérience à bord de la station spatiale internationale (ISS) avec Thomas Pesquet - expérience qui sera réalisée en parallèle dans les écoles, avec pas moins de 5 000 classes participantes ! Un formidable élan qui consacre Audrey et le blob comme des stars de la science. Sur les réseaux sociaux, la communauté de fans s’étoffe. Audrey reçoit toujours plus de mails et plusieurs invitations chaque jour pour donner une conférence de vulgarisation. « Si on m’avait dit en 2016 que j’en serai là aujourd’hui ! » s’étonne-t-elle. Alors, à quoi tient cet engouement ? En premier lieu, « au blob en lui-même, un organisme fabuleux » analyse la chercheuse. Puis, à celle qui en parle avec un talent naturel, aussi bien à des enfants qu’à des étudiants d’Oxford, n’hésitant pas à sortir des sentiers battus de la médiation scientifique. Et enfin, au temps qu’elle y consacre. « L’investissement personnel est énorme… Pour le projet avec l’ISS, je me suis engagée à répondre aux questions des 5000 enseignants. Le week-end, je passe 3h au labo pour nourrir mon blob… Quand je ne suis pas en conférence quelque part en forêt », rit-elle. Engagée pour ouvrir la science au plus grand nombre, elle regrette que la médiation soit peu valorisée dans le monde de la recherche. Mais elle tient à continuer, tout en faisant avancer sa recherche. Au quotidien, entourée de ses étudiants, elle « essaye de comprendre comment le blob se régénère », avec des espoirs liés au vieillissement. « On en est au tout début » souligne la brillante scientifique, nommée directrice de recherche à 42 ans seulement, qui a tout un univers de recherche devant elle…
Verbatim
« Les enfants sont mon public préféré. C’est à cet âge là qu’il faut leur parler de la recherche pour susciter des vocations, autant chez les garçons que les filles. »