La piscine de la « Ville Heureuse »
Ouverts en 1931, les trois bassins extérieurs de la piscine du Parc des Sports (aujourd’hui piscine Nakache) sont représentatifs de l’hédonisme démocratique du début des années 1930 à Toulouse.
On pourrait écrire la grande histoire en se contentant d’écrire l’histoire des piscines à grands traits. Jusqu’au début du XXe siècle, la nature règne encore : pas vraiment de piscines puisque l’on se baigne en eau courante, dans les ruisseaux, les fleuves, dans la Garonne. Entre les années 1920 et 1960, c’est l’ère du collectif et de l’égalitarisme : les villes construisent des palais nautiques, symboles de l’éclosion du sport de masse et de sa démocratisation. La grande piscine du Parc des Sports de Toulouse, ouverte il y a tout juste 90 ans, le 12 juillet 1931, en est l’un des plus beaux exemples. Dans les années 1960, vient le règne de l’individualisme avec l’essor des piscines privées. Entre le règne de la nature et celui de l’individualisme, il y eut donc (et fort heureusement, il y a encore) la « vaste piscine » du Parc des Sports, l’un des projets phares de la mairie Billières qui, pendant 10 ans, de 1925 (première élection d’Étienne Billières) à 1935 (mort d’Étienne Billières), semble avoir fait à peu près tout ce qui était en son pouvoir pour que Toulouse soit véritablement la « ville heureuse ». Être heureux, c’est être libre et en bonne santé : le Parc des sports s’organisera donc autour de la première piscine toulousaine ouverte à tous, non loin des quartiers populaires du sud de la ville où l’on travaille à la Poudrerie nationale voisine et à l’ONIA (futur AZF) rive gauche. D’où le reproche de contribuables inquiets que l’on ait ouvert là « une plage de luxe pour le prolétariat ». Ce qui semble justement avoir été le but de l’opération, qui ne manquait pas d’ambition si l’on en croit la déclaration d’intention prononcée lors du conseil municipal du 30 mars 1931 : « Nous doterons la ville de Toulouse d’une installation qui sera unique en France, et j’ajoute même unique en Europe. Il y a des terrains de sport bien aménagés dans d’autres pays, aucun ne se prête comme le Parc toulousain à l’édification de l’oeuvre que nous avons entreprise. » Conçue par l’architecte de la ville Jean Montariol, qui y travaillait depuis 1927, cette première phase du projet qu’Étienne Billières aura tout juste le temps d’inaugurer (les bassins extérieurs en 1931, le grand bâtiment en 1934) montre que la civilisation des loisirs avait bien été anticipée à Toulouse puisqu’au sein de ce « véritable palais d’éducation physique, d’hygiène et de sport », « le côté agrément n’a pas été négligé : sur la pergola et sur la plage, on a disposé de nombreux parasols sous lesquels un limonadier expert sert des consommations de choix pendant que sur l’eau, un ballon monumental fait les délices des nageurs et des nageuses qui s’élancent à sa poursuite ». Un esprit presque hédoniste bien résumé par Étienne Billières : « La devise que nous pourrions retenir pour cette oeuvre est la suivante : air, eau, lumière, éléments indispensables pour lutter efficacement contre la maladie et donner au corps la robustesse et la grâce ».
Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
Illustrations : Philippe Biard
Merci à la Direction du Patrimoine.
Page de gauche, le « pittoresque amas de rochers artificiels » 1 séparant la piscine centrale de la piscine enfantine. Ci-dessus, vue aérienne de l’ensemble de la première phase du Parc des Sports à la fin des années 1930. Les trois bassins extérieurs ouverts en 1931 sont donc la piscine centrale 2 (dite piscine d’hygiène, 150 x 50 mètres, le plus vaste bassin de natation en Europe), bordée à l’est par la piscine enfantine 3 à l’ouest par la piscine sportive 4 (50 x 16 mètres) et ses gradins. L’ensemble est bordé par « une grande plage de sable fin 5 agrémentée de plantations de palmiers et de rosiers multicolores ». Au sud, le bâtiment inauguré en 1934 comprend une piscine d’hiver 6 avec petit bain et grand bain, au côté d’une salle 7 « affectée aux banquets, aux fêtes et au dancing ». Au rez de chaussée, « près de mille cabines 8 et un déshabilloir surveillé ».