Patrimoine

Longtemps concentré de misère, La Grave fut aussi (et pour cela) une pépinière de grands médecins humanistes comme Pinel, les Larrey et Esquirol.

«Je les ai vus nus, couverts de haillons, n'ayant que la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus … » Peut-être est-ce aux « aliénés furieux » enchaînés dans les cachots de l'Hôpital général de La Grave que songe Étienne Esquirol lorsqu'il décrit en 1818 la « condition pire que celles des animaux » à laquelle sont réduits en France les malades mentaux de son temps. Fils de l'un des directeurs de l'établissement et « l'un des élèves les plus distingués » des séances « d'anatomie suivie de dissection et de toutes sortes d'expériences physiologiques » organisées là par Alexis Larrey et son neveu Jean-Dominique (futur « chirurgien de Napoléon »), Esquirol a forcément côtoyé au début de la Révolution ces aliénés toulousains que l'on traitait au mieux avec des saignées, lavements et purgatifs, au pire à coups de bâton ou grands seaux d'eau glacée.
À Paris, une dizaine d'années plus tard, encouragé par un autre grand médecin toulousain impressionné par les enchaînés de La Grave, son maître Philippe Pinel qui officiait à la Salpêtrière, Esquirol va démontrer que l'on peut, « sans coups et sans chaînes », « améliorer le sort de ces infortunés » et même les guérir en les soignant dignement. L'établissement spécialisé qu'il réussit à imposer (y compris à Toulouse), était exactement l'inverse des hospices où, comme à La Grave au début du XIXe siècle, on trouvait en plus des aliénés, « les vieillards, les infirmes, les galeux, les vénériens, les enfants et même les femmes de mauvaise vie et les criminels ».
C'est cette confrontation permanente de la médecine à la misère qui fit de La Grave à la fois une pépinière de grands médecins humanistes et un lieu unique où, encore au début du XXe siècle, à côté de la principale maternité toulousaine, de plusieurs cliniques de renom et du premier centre anticancéreux, il existait une salle Marie-Madeleine où l'on enfermait les prostituées « contagieuses ».


À lire :
« Les hôpitaux de Toulouse, mille ans d'histoires » et « Histoire de la médecine à Toulouse : de 1229 à nos jours », Jacques Frexinos, Privat 2000 et 2015. Merci à Jacques Frexinos et aux Archives départementales de la Haute-Garonne

(Page de gauche) Première (et pas très éthique) vaccination à Toulouse : à l'automne 1800, le chirurgien Roch Tarbès 1 teste sur trois enfants de La Grave les effets de la vaccine qu'il s'est fait envoyer de Paris, où les tests avec de la vaccine anglaise ont débuté l'été précédent. (Ci-dessous) L'hôpital au début des années 1830 avec ses services généraux autour de la cour d'entrée 2 (ancienne église 3 boutiques et médecins) et le reste des bâtiments avec les hommes à l'est 4 (infirmes, y compris dans la tour Taillefer 5 , garçons abandonnés) et les femmes à l'ouest 6 (infirmes et filles abandonnées). Les travaux de la « nouvelle église » 7 ont été suspendus depuis la Révolution et reprendront en 1835. Les aliénés sont regroupés dans les bâtiments de l'ancien couvent des Clarisses 8 annexé en 1797. Derrière la muraille 9 , les nouveaux Abattoirs 10 conçus par l'architecte Urbain Vitry.

Une réalisation du Studio Différemment : Texte : Jean de Saint Blanquat ; illustrations : Marine Delouvrier pour leur aide précieuse.