Les deux Garonnes

Économie ou loisirs ? Énergie sportive ou énergie électrique ? Entre XIXe et XXe siècle, les rameurs de L’Émulation nautique n’ont pas trouvé tout de suite leur place sur un fleuve très demandé.

À Toulouse, la Garonne n’a jamais manqué de trafic : bateaux pierriers et trains de bois dès l’Antiquité pour descendre les marbres et les arbres des Pyrénées, barques des pêcheurs de poissons et des pêcheurs de sable … plus, amarrés à la rive, une nuée de bateaux moulins, bateaux lavoirs, bateaux de bain. La navigation de plaisance, ne serait-ce que pour traverser le bras supérieur de la Garonne et se rendre au Ramier, doit elle aussi avoir une certaine ancienneté mais elle ne devient une activité remarquée qu’au XIXe siècle, grande époque du canotage et du développement des loisirs de masse. C’est en 1863, en tout cas, qu’est fondée la « Société des régates L’Émulation nautique » qui semble d’abord basée au port Saint-Cyprien puisqu’elle a alors son garage rue Viguerie. Mais la jeune société connaît deux coups durs : la guerre de 1870 qui disperse les membres devant « concourir à la défense nationale », la grande inondation de 1875 qui emporte tout le « matériel ». La société se reconstitue en 1883, demande à cette occasion une subvention au Conseil général puisqu’elle pratique « ce genre de sport » qui « a sa place marquée parmi les choses utiles et ne peut que concourir au but poursuivi par le Gouvernement : le développement des forces physiques ».

C’est que, pour se faire une place en bord de Garonne en ces années de compétition à tout va avec l’Allemagne, il ne vaut mieux pas se présenter comme de joyeux amateurs de loisirs aquatiques. Le fleuve est depuis toujours, non seulement une voie de transport mais aussi une source d’énergie dont l’industrie d’armement a bien besoin et c’est pour cela que le tiers sud du Ramier est occupé par une poudrerie, fondée sous l'Ancien Régime sur les îlots au nord. Son explosion en 1816 entraîne son déménagement au sud de l'île, laissant la place aux régatiers de l’Émulation qui pensent avoir trouvé là l’endroit idéal, ni trop loin ni trop près de la ville et en bordure du nouveau et très couru Parc Toulousain que la municipalité vient de créer là. Mais la municipalité a besoin d’électricité et y crée également, coup sur coup, l’élégante centrale hydroélectrique de Banlève et la moins élégante usine d’incinération des gadoues. Émoi chez les sportifs, même patriotes, qui s’inquiètent en 1917 : « L’Émulation Nautique va déménager … Plus exactement, on va l’enlever du lieu qu’elle occupe. Afin de construire une usine électrique productrice de houille blanche, la municipalité toulousaine est obligée de retirer à sa locataire le terrain si coquet qu’elle lui cédait depuis si longtemps » et « lui offre en compensation un emplacement sur le bras gauche de la Garonne ». Consciente déjà qu’on ne peut donner toute la Garonne à l’industrie, la municipalité se fera pardonner en commençant à planifier sur le Ramier un Parc des Sports et même un Stadium populaire, cette énergie-là pouvant aussi après tout être utile à la nation.

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Philippe Biard
Merci à la Direction du Patrimoine.

Page de gauche, le bout du Ramier du Château avec les installations de l’Émulation nautique 1 dans les années 1920 juste après la construction de la centrale hydroélectrique de Banlève 2 qui a forcé le club à s’installer sur le bras principal de la Garonne, tout contre le Parc Toulousain 3 le très apprécié parc public avec son amphithéâtre 4 ouvert dans les années 1900. Ci-dessus, les rowingmen de l’Émulation 5 à l’entraînement devant le bâtiment principal de leur club. À l’arrière-plan, la centrale hydroélectrique de Banlève 6. Ci-contre, le champion de natation Alfred Nakache 7 qui vint souvent s’entraîner avec les Dauphins du TOEC dans les piscines d’été et d’hiver du Parc des Sports à quelques centaines de mètres.