Du polygone à la cartoucherie
Alors bien loin de Toulouse, on y apprit d’abord aux artilleurs à tirer au canon avant d’y fabriquer un peu puis énormément de cartouches.
Le polygone est un « lieu où les artilleurs s’exercent en temps de paix au tracé et à la construction des batteries, au tir du canon, au jet des bombes, aux manoeuvres, etc., en appliquant à ces différents exercices les principes de la théorie ». On peut comprendre que ce genre d’exercices ne soit pas idéal en milieu urbain, aussi les fondateurs de l’école d’artillerie de Toulouse, installée dans le tout nouvel arsenal créé en 1793 à la place du couvent des Chartreux, allèrent-ils tracer leur polygone rive gauche, bien au delà de la porte Saint-Cyprien, entre deux des trois artères partant de la Patte d’Oie qui venaient tout juste d’être ouvertes. Loin des stratégiques frontières du nord-est de la France, le polygone de Toulouse ne débordait pas d’activité et son champ de manoeuvre servit même un certain temps d’hippodrome. Dans le petit espace triangulaire protégé derrière les batteries, il n’y eut longtemps qu’un corps de garde, une remise et une « salle d’artifice » avant qu’on s’avise prudemment après la guerre de 1870-71 de transporter là presque toute la cartoucherie de l’Arsenal. Une cartoucherie déjà capable avec un peu plus de 700 ouvriers de fabriquer 150 000 cartouches par jour.
Rien du tout comparé aux besoins gigantesques de l’armée française à partir d’août 1914. L’éloignement des frontières du nord-est (bien enfoncées par l'armée allemande) et des possibles bombardements joue cette fois en faveur de l’artillerie toulousaine : une méga-cartoucherie remplit rapidement presque tout l’espace du polygone pour livrer deux millions de cartouches par jour fabriquées par jusqu’à 16 000 employés … et employées, puisque, à côté des ouvriers civils (26 %), militaires (15 %), venus des colonies (7 %), prisonniers ou étrangers (2 %), les munitionnettes représentent 50 % des effectifs à la fin de la guerre. Ce qui explique qu’on ait édifié une crèche entre la nouvelle et l’ancienne cartoucherie et qu’on ait fini par se soucier de leur santé. « Rien qu’à Toulouse, la population féminine des usines est une véritable armée », écrit le professeur Audebert chargé en 1917 d’un rapport sur la question, ajoutant dans son rude langage utilitariste de gynécologue-obstétricien que « ces ouvrières sont presque toutes jeunes et en pleine période d’activité génitale » et qu’elles ont mis au monde cette année-là 545 enfants, soit « le quart de la natalité toulousaine ». Or, soucieux du « rôle important que peut jouer cette armée féminine dans la lutte contre la dépopulation », le professeur doit constater que s’il y a eu 27 % d’accouchements avant terme ou d’avortements chez les femmes non ouvrières, cette proportion monte à 49 % chez les ouvrières de la cartoucherie pour lesquelles il recommande cependant le « statu quo », la priorité étant de faire quelque chose pour les ouvrières de la poudrerie du Ramier où le chiffre monte à 67 %…
Prochain numéro : Les derniers temps de la cartoucherie
Le polygone d’artillerie au tout début du XXe siècle entre la route de Bayonne 1 (avenue de Grande-Bretagne) au nord, le mur d’octroi 2 à l’est, le vieux chemin de Tournefeuille 3(rue Roquemaurel) au sud et le parc du château de Purpan 4 à l’ouest (Jardin du Barry). Les premiers bâtiments de la cartoucherie 5 sont groupés dans le triangle au nord des batteries 6 (qui tiraient vers la butte à l’ouest 7) mais l’activité réduite du polygone permet des festivités sportives comme le premier meeting aérien de Toulouse l’été 1910 8. Une « munitionnette » de la cartoucherie en 1919 9 : les femmes ont constitué la moitié des effectifs pendant la guerre. Le site après les transformations de la Première Guerre mondiale : ancienne cartoucherie 10 nouvelle cartoucherie 11 ateliers de chargement et de pyrotechnie 12 fabrication des douilles 13 réfection du matériel 14 crèche-infirmerie 15 caserne Galliéni 16 (pour les ouvriers malgaches), parc d’artillerie 17 avec le magasin à poudre 18 (salle du Jardin du Barry).
Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
Illustrations : Marine Delouvrier, Jean-François Péneau
Merci à l'association des Anciens de la Cartoucherie
et à la Direction du Patrimoine.