Yann Ferguson - L’intelligence artificielle en question
Bio express
Yann Ferguson est sociologue à l’Inria et chercheur associé au Certop (Université Jean-Jaurès). Ses travaux portent sur l’intelligence artificielle, le numérique, la ville et le travail. Il dirige le Labor IA. Il a été classé par le magazine L’usine Nouvelle parmi les 200 Français qui font « avancer l’intelligence artificielle en France et dans le monde ».
Carte blanche à Yann Ferguson
Elle est omniprésente. Pas un jour sans que l’on entende parler de l’intelligence artificielle (IA), de ses supers pouvoirs ou de ses dangers. Pour mieux comprendre cette révolution technologique et son potentiel apport au service des collectivités, Tim a interrogé Yann Ferguson.
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Il s’agit d’une discipline de recherche principalement à base de mathématiques, formalisée en 1956 aux États-Unis. Ses applications concrètes ont pour but de confier à des machines des tâches que l’on considère réalisables exclusivement par des humains, la conversation, l’organisation de la mémoire, etc. Ces tâches nécessitent des processus mentaux de haut niveau et ne peuvent donc être découpées en simples pas à pas, au contraire des algorithmes qui animent des robots comme ceux à l’oeuvre sur les chaînes d’assemblage ou de production. L’IA dont on entend beaucoup parler actuellement car la discipline progresse rapidement, c’est l’IA version apprentissage machine (ou machine learning). La force des programmes informatiques basés sur cette forme d’IA réside dans leur capacité à atteindre des objectifs sans que l’humain ait besoin de fournir de recette préalable. Il s’agit plutôt de les doter de puissantes capacités de calculs et de les nourrir de gigantesques masses de données puis de les laisser concocter leur propre méthode au moyen de calculs statistiques. Et c’est ce qui donne un semblant d’intelligence aux applications équipées de ces programmes.
En quoi cet outil peut-il être utile aux collectivités ?
L’un des premiers usages de l’IA dans les collectivités publiques a répondu à une volonté de fluidifier les échanges avec les usagers, pour leur apporter notamment des réponses plus rapides. Il s’agit des agents conversationnels ou chatbots qui aujourd’hui ont une capacité de réponses démultipliée, précise et fiable avec les IA génératives. Certains services utilisent aussi des logiciels d’IA prédictive. Par exemple dans le but de réduire le gaspillage alimentaire, en anticipant le nombre d’élèves présents à la cantine en fonction des périodes de l’année, des menus servis, etc. Prévoir les besoins saisonniers de consommation permet aussi d’optimiser la gestion de ressources comme l’eau. L’IA est également déployée en matière de sécurité publique, notamment dans le cadre de la vidéo surveillance. Ainsi, la machine peut identifier des situations dangereuses en temps réel sur les écrans puis alerter un humain. Elle sait détecter des mouvements de foule ou des personnes porteuses d’objets dangereux sur la voie publique, permettant de décharger les policiers municipaux de ces tâches fastidieuses pour les affecter à d’autres missions. Dans un contexte de numérisation renforcée, qui acte par exemple la fin du ticket de transport en version papier, l’IA permet aussi de proposer des parcours optimisés aux usagers des transports en commun. La liste est longue…
L’IA est-elle bien acceptée par les habitants ?
Ia ou pas, les sondages montrent que les usagers s’attachent avant tout à la qualité des services rendus par la collectivité. Au-delà, dans ce contexte de collecte d’informations à grande échelle, il peut y avoir un questionnement en matière de protection des données. Outre qu’il est souvent paradoxal pour des personnes qui ne rechignent par ailleurs pas à communiquer leurs informations les plus intimes à des entreprises privées étrangères, comme Facebook, ou Amazon, il faut savoir que les collectivités doivent être irréprochables en matière d’utilisation des données notamment en termes de transparence sur la finalité de cette collecte et son archivage. La plupart sont aussi engagées dans une réflexion éthique, conscientes de leur responsabilité et de la nécessité d’être exemplaires. Enfin, l’usage de l’IA peut aussi être questionné pour son empreinte écologique. Si elle s’avère un outil prometteur dans la gestion des ressources, elle produit aussi des déchets, comme toutes les technologies, et consomme une quantité croissante d’eau, pour climatiser des centres de calcul de plus en plus grands. Engagées dans une démarche de transition, les collectivités ne peuvent faire l’impasse sur cette question.
Verbatim
« La plupart des collectivités sont engagées dans une réflexion éthique sur l’IA, conscientes de leur responsabilité et de la nécessité d’être exemplaires. »