Alain Faure - La démocratie participative en question

Bio express
Alain Faure est directeur de recherche CNRS en science politique au sein du laboratoire Pacte, à l’Université de Grenoble Alpes. Ce spécialiste des collectivités mène des recherches variées sur l’action publique territoriale. Il intervient également dans l’évaluation des politiques publiques. Une part importante de ses analyses porte sur les problématiques liées à la décentralisation et au “métier” d’élu local. Il a notamment travaillé sur la question de l’intensité émotionnelle dans l’engagement politique.

Tandis que la démocratie représentative traverse actuellement une crise, avec une hausse historique de l’abstention, la démocratie participative est un bon complément. Mais attention à l’effet trompe-l’oeil, prévient le chercheur en science politique Alain Faure, qui a donné une conférence au Codev (Conseil de développement) de Toulouse Métropole en juillet dernier.

Pourquoi la démocratie participative se développe de plus en plus ?
L’essor de la démocratie participative s’inscrit dans un contexte bien particulier. Aujourd’hui, les émotions prennent beaucoup de place dans l’espace et le débat politique. Et en l’espèce, la promesse participative, qui consiste à donner directement la parole au citoyen, est porteuse d’une grande émotion. « Donnez-moi votre avis et nous allons changer le monde » : voilà ce qui, en substance, est dit. Dans la période actuelle, marquée tout à la fois par les incertitudes et la montée des individualismes, cette promesse est séduisante, mais aussi potentiellement démagogique. Mais ce n’est pas nouveau : depuis la naissance de la démocratie se pose la question de donner la parole à la vox populi. Cela ne dit pas, cependant, comment on change concrètement les choses. L’action publique est en effet d’une complexité inouïe et, tandis que la démocratie représentative, par le vote, est actuellement en crise, les collectivités initient de plus en plus des démarches de démocratie participative.

Quelles sont, de votre point de vue, les limites de la démocratie participative ?
Personnellement, je suis inquiet lorsque j’analyse les aspects idéologiques de ces dispositifs, qui flirtent parfois avec le populisme. Cela règle-t-il réellement les problèmes ? C’est la question qu’il convient de se poser. Dans les métropoles, notamment, lorsque l’action publique fonctionne mal, ce n’est la plupart du temps pas une question de volonté politique ou d’expertise, mais le résultat de la difficulté d’agencement d’intérêts contradictoires, de construction de compromis. C’est une question de hiérarchie des priorités entre différents groupes d’intérêts, différents corps professionnels, différents territoires. C’est le défi du vivre-ensemble de toutes les métropoles : agencer et réguler les tensions. L’attention devrait davantage se focaliser sur ces enjeux-là. Or, le travail du compromis se heurte à un phénomène : la disparition progressive des corps intermédiaires qui travaillent sur ces questions. Autrefois, c’était les syndicats. Nous sommes clairement, aujourd’hui, en panne de médiateurs. Cela peut être des élus, bien sûr, mais aussi des militants, des fonctionnaires, des journalistes… Peu de personnalités jouent ce rôle ; désormais, chacun est dans sa ligne de course. La Convention citoyenne pour le climat en est un parfait exemple. Ce n’est pas un lieu de délibération ou de consensus, mais une somme d’individualités. C’est ce que je reproche à certains dispositifs de démocratie participative qui, en réalité, ne construisent rien. Au fond, c’est un dispositif un peu cosmétique et, surtout, très libéral, basé sur des mécanismes concurrentiels. Ce qui est en contradiction directe avec les valeurs portées le plus souvent par ces instances.

Verbatim
“Dans les conseils de développement, on va bien au-delà des problématiques individuelles. On agit pour l’intérêt général, pas seulement pour répondre à des intérêts particuliers. Au fond, c’est cela le travail de la démocratie : passer de l’individu au collectif.”

Quel regard portez-vous sur le rôle des Conseils de développement ?
Je suis personnellement un compagnon enthousiaste des conseils de développement. Je n’y vois pas, en réalité, un instrument de la démocratie participative, mais plutôt une instance hybride, un modèle intermédiaire entre la démocratie participative et la démocratie représentative. L’idée est de réunir des personnes par thématiques, sur le long terme, pour travailler des questions de façon fouillée, en émettant des avis, en rédigeant des rapports. C’est, à mon sens, un modèle constructif, qui met les participants en situation de prise de responsabilité. Et surtout, dans les conseils de développement, on va bien au-delà des problématiques individuelles. On agit pour l’intérêt général, pas seulement pour répondre à des intérêts particuliers. Au fond, c’est cela le travail de la démocratie : passer de l’individu au collectif. Les conseils de développement s’inscrivent dans cette logique. D’ailleurs, il n’est pas rare que leurs membres endossent ensuite des responsabilités syndicales ou politiques.