Les cinq vies du pont Saint-Pierre
Suspendu puis posé sur poutres, privé (et à péage), public (et gratuit), routier, piétonnier… Lancé en 1852 entre le port Bidou (ou Saint-Pierre) et la Grave, cet axe modeste mais bien en vue a déjà connu quelques vies.
Si le Pont-Neuf n’a jamais vraiment changé en 4 siècles d’existence, ce n’est pas le cas de ses deux voisins en amont et en aval, tous deux lancés sur la Garonne il y a un peu moins de deux siècles. Le pont Saint-Michel a connu déjà trois versions, le pont Saint-Pierre cinq… Et la première ne dura même pas 3 ans : en 1855, une petite crue de la Garonne force déjà à refaire complètement le tablier. Un peu mieux pour la deuxième version qui tient près de 20 ans jusqu’à la catastrophique crue de 1875 qui emporte également le pont Saint-Michel. La troisième version, faite en partie de débris récupérés du pont Saint-Michel, durera elle un peu plus de 50 ans, mais reprise par la Ville à ses concessionnaires en 1904, son « tablier est en partie disloqué », ses « câbles d’amarrage présentent des traces très avancées d’oxydation », impossible donc d’y faire passer autre chose que des piétons. Car le pont Saint-Pierre fut d’abord un pont privé. Après un investissement public (ici un quart l’État, trois quarts la Ville), le système était censé épargner toute dépense de fonctionnement, le concessionnaire les finançant grâce aux péages très détaillés fixés par la municipalité. Péages qui nous montrent une Toulouse encore très rurale avec un tarif minimal (1 centime) « pour mouton, brebis, bouc, chèvre, cochon de lait, paire d’oies ou de dindons », un peu plus (2,5 centimes) « pour un veau ou un porc destiné à la vente ». Le tarif de base (un sou, 5 centimes) s’applique aussi bien « pour une personne chargée ou non chargée » que « pour un âne ou ânesse non chargée », « un cheval, mulet, bœuf, vache ou âne employés au labour ou allant au pâturage ». Sont « dispensés des droits de péage » le préfet, le sous-préfet et toutes sortes d’autres fonctionnaires et agents publics (sauf les PIERREartilleurs voisins) donc aussi « les ministres des différents cultes reconnus par l’État » et « les facteurs ruraux », mais également « les élèves allant à l’école communale ainsi qu’à l’instruction religieuse, ou en revenant, les prévenus, accusés ou condamnés, conduits par la force publique ». Le rachat de la concession par la mairie en 1904 met fin aux péages et lance les débats sur un nouveau pont plus solide. Finalement ouvert en 1931, ce quatrième pont marque un changement d’ère puisqu’il est prévu pour un modeste trafic automobile qui se révélera rapidement problématique avec des embouteillages qui fragilisent la structure et forcent à limiter la circulation à partir de 1983. D’où le choix d’un cinquième pont, celui que nous connaissons, radicalement différent, rappelant un peu le pont Alexandre III à Paris (des statues étaient même prévues à l’origine au sommet de chaque massif), qui ouvrira en 1987. Pour poursuivre l’expérimentation menée l’été dernier, le pont est de nouveau réservé aux piétons jusqu’au 31 octobre. De nouvelles perspectives s’ouvrent…
Les trois principales versions du pont Saint-Pierre entre le port Bidou (Saint-Pierre) sur la rive droite 1 et l’hôpital de la Grave sur la rive gauche 2. À gauche 3 après les deux crues de 1855 et 1875 qui ont emporté son tablier, le pont de 1877 avec ses pylônes de fonte 4 et pierres de taille, et ses guérites 5 pour s’acquitter du péage (supprimé en 1904).
Ci-dessus, le pont de 1931 6 un peu plus large avec ses portiques en treillis d’acier 7 et pour la première fois ouvert aux automobiles, et le pont actuel 8 ouvert en 1987, le premier qui ne soit pas suspendu 9 et qui ait quatre piles dans le cours de la Garonne 10 au lieu de deux.
Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Jean-François Binet, Jean-François Péneau
Merci à la Direction du Patrimoine.