Percer la rue de Metz

Partie du Pont-Neuf en 1868, la rue de Metz dut, pour parvenir au boulevard, éjecter le marché Esquirol et transpercer entre autres un vieux moulon dont les propriétaires eurent un quart de siècle pour se faire à cette idée.

Apporter « l’air et la lumière dans tous les quartiers de notre cité » en créant « un système général de ventilation qui tournera nécessairement au profit de la santé publique ». Tel est l’objectif officiel des deux grandes percées toulousaines décidées par la mairie en 1867, à la fin du Second Empire selon le plan tracé par l’ingénieur municipal Urbain Maguès 1 qui marque une rupture par rapport aux projets d'alignements dessinés par l'inspecteur-voyer Joseph Vitry 2 quelques décennies auparavant. Elles sont en fait surtout des moyens de désenclaver commercialement le vieux centre, de faciliter les transferts de troupes et autres opérations militaires… et sur le modéle de Paris où le baron Haussmann perce à tour de bras, affirmer Toulouse, désormais desservie par le chemin de fer, comme une ville de premier plan. Pour l’Axe transversal qui nous occupe, les choses commencent en 1868 par le tronçon entre la place du Pont-Neuf et le musée, au coin duquel il rencontre l’Axe longitudinal qu’on entame à partir de là au même moment jusqu’au Capitole. En 1872, en référence aux territoires que vient de perdre la France lors de la guerre de 1870-71, les deux axes sont baptisés rue de Metz et rue d’Alsace-Lorraine. Si ces deux premiers tronçons sont à peu près achevés en 1879, la rue d’Alsace se poursuit dans les années 1880 jusqu’aux boulevards tandis que plus rien ne bouge pour la rue de Metz. C’est qu’il faut attendre la création des halles des Carmes et Victor-Hugo pour remplacer (et éjecter) le marché Esquirol en 1892. La rue de Metz peut se poursuivre alors vers le boulevard à partir de 1893 avec toutefois des règles plus souples pour les propriétaires, d’où une réalisation plus longue, jusqu’en 1910. Ces propriétaires, qui devaient s’attendre depuis déjà un quart de siècle à cette trouée en travers de leurs biens, nous pouvons les imaginer au milieu de cette décennie 1890 où il va leur falloir radicalement changer d’habitudes. Par exemple ceux du long moulon entre les places Saint-Étienne, Saint-Georges et le musée des Augustins. Le moulon, ce fut la cellule de base de la vie toulousaine jusqu’au XXe siècle : un ensemble de maisons, d’immeubles, de boutiques, d’ateliers, de cours, d’écuries et d’hôtels imbriqués les uns dans les autres et délimité par les rues adjacentes. Aux limites sous l’Ancien régime des anciens quartiers de la cathédrale, parlementaire et marchand, notre moulon était encore un siècle après la Révolution un résumé des haute et moyenne sociétés locales : sur les six propriétaires concernés par la percée, trois ont un nom à particule et trois ont là leur lieu de travail dont les ébénistes Andrau et Blanc (meubles, sièges, literie, ornements, glaces) et le notaire Deffès qui possédait un double et étroit petit immeuble donnant sur la rue de Boulbonne où il avait réussi à caser bureaux,concierge, écuries et fosse à fumier au rez de chaussée, étude notariale à l’entresol et un coquet appartement au dessus autour d’une « cour vitrée chauffée par le calorifère ». Sans doute un peu à l’étroit dans ce cadre, notre notaire se fit prudemment bâtir au bout de la rue des Amidonniers au début des années 1880 une somptueuse villa dite des Palmiers, loin, très loin de tout projet de percée (puisqu’elle y est encore).

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Philippe Biard
Merci à la Direction du Patrimoine.

La partie du moulon entre les rues de Boulbonne et des Arts en 1894 avant son percement par le dernier tronçon 3 de la rue de Metz (en haut les étages, en bas les rez de chaussée). Sur la rue des Arts, les façades de l’ébénisterie Andrau et Blanc 4 (voisine à sa droite de l’ancien hôtel Ramel, aujourd’hui librairie Privat) 5 de la boutique de Marie Brocqua 6 et des magasins loués par la vieille famille capitoulaire de Capèle 7 dont les bâtiments vont (en traversant quatre cours) jusqu’à la rue de Boulbonne 8 où ils bordent le double immeuble du notaire Deffès (ici son cocher) 9 . Les deux parcelles voisines appartiennent à la veuve de l’agronome, savant et philanthrope toulousain Louis Théron de Montaugé 10 et aux soeurs de Marie Auxiliatrice dont leur supérieure générale, la toulousaine Sidonie de Luppé (Mère Marie Elisabeth) 11 .