Les « belles journées » de paleficat

Aux limites nord du terroir toulousain, un château, une rivière, une route, un pont … et beaucoup de bons moments.

Il ne faut jamais rien idéaliser. Mais dans un endroit peu propice (entre les marécages de l’Hers qui servait ici de frontière à Toulouse et les fourches où, non loin des Minimes, on laissait pourrir les cadavres des suppliciés de la ville), il y eut par là comme une sorte de talent pour le bonheur de vivre. Qui commence par un talent pour les noms : si cette maison forte au milieu des bruyères a pris le nom de Palficat (en occitan : poteau planté, qui évolua en Palaficat ou Paléficat), c'est qu'elle était aux marges du territoire toulousain dont les limites étaient marquées par des pieux de bornage. La première mention de ce nom qui sonne bien, c’est en 1439, quand le dauphin futur Louis XI reçoit non loin de là les hommages des Capitouls venus « a caval » (à cheval) de la porte Matabiau. Il est suivi par du beau monde : rien que Jean de Bernuy, de loin l’homme le plus riche de Toulouse en plein siècle du pastel, qui l’achète dès le début de son ascension en 1507. Les Bernuy tiennent Palficat jusqu’au milieu du XVIIe siècle quand la maison passe aux Bertier, autre puissante famille liée au Parlement qui possède le domaine jusqu’à la Révolution. Autre nom bien trouvé, celui du pont de la route d’Albi qui fut longtemps appelé le pont de velours.
Sur les berges de l’Hers, à côté de ce pont de velours, il y avait un pré sur lequel, au moins à partir du XVIIIe siècle, les Toulousains venaient à la fin octobre en cortèges pour fêter le Ramelet de Sant Grapasin (bouquet de Saint-Caprais, nom d’une chapelle voisine). Chaque quartier avait son uniforme, les hommes de la porte Arnaud Bernard, par exemple, étaient en « habit rose doublure bleu paille, veste et culotte d’étoffe blanche, bas blancs, souliers gris, cocarde rouge et bleue », les femmes en « veste blanche, le tablier rayé de mousseline ». Après le défilé, toute l’après-midi se passait en réjouissances avant le retour vers Toulouse en soirée. Au XIXe siècle, un observateur note que « le peuple aime d’autant mieux cette fête qu’elle arrive vers la fin de l’automne, lorsque la vigne est déjà flétrie et que le paysage commence à devenir plus triste ; il sent alors plus vivement le prix des belles journées, qui retardent l’approche de la mauvaise saison, et il fait de son mieux pour en jouir. Aussi faut-il le voir dans la prairie de Saint-Caprais s’éparpillant en troupes joyeuses sur les bords de l’Hers et courant dans tous les sentiers des environs ».
On peut en voir comme un écho dans la bonne ambiance qui semblait régner parmi les nombreux maraîchers installés à Paleficat dans la première moitié du XXe siècle et qui alimentaient de leur production variée le marché Arnaud Bernard. Des maraîchers présents en force avec leurs chars à la fête du Ramelet qui occupait alors tout le quartier de Croix-Daurade et alentours pendant plusieurs jours à la fin octobre et dont le clou était ce « sensationnel cortège » de la place Bila au pont de l’Hers avant lequel un journaliste de La Dépêche écrit en 1951 : « Un peu partout, des garages, des remises dans lesquels il se passe quelque chose où vous n’entrez que si vous montrez patte blanche … pour que d’autres ne chipent l’idée ».

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Marine Delouvrier, Pierre-Alexandre Soulat.
Merci à la Direction du Patrimoine.

Page ci-contre en haut : Paleficat au milieu du XIXe siècle (à gauche 1 avec toujours le grand domaine datant au moins du XVe siècle) et au milieu du XXe siècle (à droite 2 avec les parcelles maraîchères qui se sont multipliées).
Page ci-contre en bas : le château aujourd'hui 3 . Ci-dessus : une parcelle maraîchère au milieu du XXe siècle avec la maison (murs en briques et lits de galets) et ses agrandissements successifs depuis l’ostal originel (chambre 4 et cuisine 5 ) puis vestibule 6 et resserre 7 . Autour, le poulailler en construction 8 le puits 9 les cultures maraîchères (ici violettes 10 et autres fleurs, légumes, vignes 11 ) jusqu’au cours de l’Hers 12 réaménagé et stabilisé au milieu du XVIIIe siècle.