Il n’y avait pas que bachelier

La figure du maçon-sculpteur à tout faire a longtemps incarné la Renaissance artistique toulousaine. Alors que la concurrence était rude.

On a longtemps cru qu’il était toulousain, voire italien… mais il était picard. On a longtemps pensé que presque tout ce qui avait été sculpté et bâti dans Toulouse des années 1530 aux années 1550 était de sa main … mais on s’est peu à peu aperçu qu’il ne manquait pas de concurrents et qu’il avait peut-être réussi à faire la différence en imposant avec beaucoup de constance et de talent quelques modèles à succès. Comme ces têtes « fières, variées, nobles et gracieuses » dont « la plupart ont le nez carré comme les plus belles antiques » selon son admirateur le critique d’art Dupuy-Dugrez qui vanta tant ses ouvrages à la fin du XVIIe siècle. Des têtes sans doute encore plus expressives lorsqu’elles étaient peintes « le plus riche que pourra se faire » : les cheveux roux, les barbes bleues (beaucoup de barbes) et hérissées, les yeux exorbités, les sourcils froncés, les grimaces furieuses, les grosses larmes apparentes… Ce déchaînement des visages et des corps contrastait avec un austère encadrement de décorations à l’antique qui s’imposait alors partout mais dont certaines formules firent aussi le succès de Bachelier. Ainsi des fenêtres à quart de colonne dorique de chaque côté qu’il fait tailler en 1538 pour le parlementaire Jean de Bagis dans son nouvel hôtel de la rue de la Dalbade (qui deviendra ensuite l’Hôtel de Pierre) : elles plaisent tant que les riches toulousains lui commanderont ensuite longtemps des croisées « de la façon des fenêtres que Monsieur Bagis a faites faire », la fenêtre de pierre en pays de brique ayant « l’avantage de donner, rapidement et à moindres frais, une apparence nouvelle à une vieille demeure ». Des sculptures, des fenêtres, et puis quoi encore ? Le début du Pont-Neuf, déjà un projet de « Canal des deux mers », des fortifications, des fontaines … Bachelier et ses concurrents étaient des artistes à tout faire qui non seulement employaient du monde mais collaboraient fréquemment sur les chantiers les plus complexes. D’où la difficulté d’attribuer les oeuvres à tel ou tel, sauf lorsqu’un trait particulier se fait remarquer comme son talent pour les visages mais aussi, « dès qu’il se trouve dans l’obligation de dénuder les corps », ses « lourdes fautes anatomiques » selon les spécialistes les plus récents qui lui dénient aujourd’hui les beaux atlantes de l’hôtel de Bagis parce que l’anatomie y « est respectée ». Une anatomie qu’aurait beaucoup mieux maîtrisée son grand rival le lyonnais Jean Rancy, auteur de la belle statue de Dame Tholose qui surmonta longtemps le toit du donjon du Capitole avant de migrer sur la colonne de la place Dupuy : elle est l’une des premières statues de femme à demi-nue de ce côté-ci des Alpes.

Prochain numéro : Qui était Nicolas Bachelier ?

En haut à gauche, le médaillon sculpté pour l’hôtel de Pins et remployé à l’hôtel de Montval. En bas à gauche, Bachelier 1 travaillant en 1544 aux quatre panneaux du retable commandé par la paroisse de la Dalbade : l’Annonciation 2 l’Adoration des bergers 3 l’Adoration des Mages 4 et la Présentation au Temple 5 . Ci-dessus, l’arrivée du roi François Ier le 1er août 1533 devant le couvent des Minimes 6 . Les Capitouls avaient commandé aux artistes toulousains une impressionnante galerie d’apparat 7 pour laquelle Bachelier avait dû modeler des figures d’ornementation en terre. C’est l’une de ses premières interventions connues après un retable à SaintÉtienne en 1532.

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Jean-François Binet,
Jean-François Péneau
Merci à la Direction du Patrimoine.