Les capitouls et leurs imagesles images

Une image (de plus en plus grande) dans les Annales de la ville, un portrait collectif, huit portraits individuels … Chaque année, les Capitouls profitaient à plein de leur droit d’image.

Comment naît un privilège ? Très-très lentement … Le droit d’image des Capitouls, ces édiles élus chaque année par les notables toulousains pour gouverner la ville, n’existait pas pendant les premiers siècles de leur existence. Mais on remarque déjà qu’à partir du moment où ils prennent l’habitude de rédiger chaque année des Annales (un grand registre manuscrit où ils mentionnent qui ils sont et ce qu’ils ont fait pendant leur mandat ou simplement ce qui s’est passé) à la fin du XIIIe siècle, il faut peu de temps pour que la miniature les représentant prenne de plus en plus de place : dans l’initiale au début puis, à partir de 1351, tout le haut de la première page. Mais difficile de vraiment différencier ces Messieurs dans leurs belles robes rouge et noir ... Alors, avec les progrès du réalisme, voici le portrait des 8 capitouls sur une page entière à partir du XVIe siècle et même deux pages à partir de 1578. Prévoyant peut-être les limites de cet exercice sur parchemin, les Capitouls inaugurèrent dès le milieu du XVe siècle les portraits muraux les représentant aussi tous les 8 mais en grand de façon à les accrocher dans les belles salles qu’ils fréquentaient. Vers la fin du XVIe siècle aussi, constatant que ces grands portraits collectifs avaient une durée de vie assez courte et que, faute de place et d’intérêt, les plus anciens moisissaient dans des greniers, les Capitouls prirent en plus l’habitude de se faire portraiturer individuellement et de pouvoir ensuite emporter le résultat « en leur maison ». C’est vers le XVIe siècle aussi qu’ils firent de cette habitude un privilège lié à leur fonction, s’apercevant soudain que dans la Rome antique, les consuls avaient un droit d’image à peu près semblable. Huit nouveaux capitouls étant élus tous les ans, on imagine que cette débauche picturale devait un peu occuper la personne chargée de faire poser ces Messieurs et de laisser leur image à la postérité. Les titulaires de la charge importante de peintre de la Ville durent donc faire des choix, consacrant le meilleur de leurs efforts à la grande miniature des Annales (puisqu’elle était la seule destinée à traverser les siècles), se faisant aider pour les tableaux collectifs du coup souvent un peu dépareillés, et ne s’occupant souvent que du visage pour les portraits individuels. Mais quels visages ! … Premier peintre à avoir systématisé cette hiérarchie, le champenois Jean Chalette (à la palette municipale de 1611 à 1643) nous a laissé d’incroyables trognes de notables plus vraies que nature et que l’on a l’impression d’avoir tout juste croisé dans la rue. Après son successeur Antoine Durand (1645-1674), lui aussi très doué pour les trognes brossées à rudes traits, les portraits perdirent peu à peu de leur force comme si les peintres pressentaient l’épuisement du système et la catastrophe finale : la fin des Capitouls l’été 1789 remplacés par de banals conseillers municipaux et, pire encore, l’autodafé des miniatures le 10 août 1793 sur la place du Capitole qui ne nous laissa que quelques dizaines d'exemplaires de ces témoignages exceptionnels de la relation entre voir et pouvoir.
À lire : Michèle Eclache, Christian Pelegry et Jean Penent, Images et fastes des Capitouls de Toulouse, Mairie de Toulouse/Musée Paul Dupuy, 1990.

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Jean-François Binet,
Jean-François Péneau
Merci à la Direction du Patrimoine.

Ci-contre : 1 Jean Chalette en 1618 en train de peindre à l'huile le capitoul Pierre Decos.

Ci-dessus : 2 le même Chalette fait poser les 8 capitouls de l’année 1631-32 avec leurs blasons, 3 signe d'annoblissement et réalise une enluminure pour le portrait collectif de la double page des Annales de la ville qu’il ornementera d’une frise, 4 représentant l’entrée du roi Louis XIII (venu faire juger et exécuter le duc de Montmorency), tandis qu’un greffier rédige un récit des terribles évènements de l’année.

Ci-dessous : 5 la plupart des portraits collectifs des capitouls dans les Annales de la ville sont brûlés sur la place du Capitole le 10 août 1793, premier anniversaire de la chute de la royauté.