Des ponts jumeaux aux trois Canaux

Il y eut d’abord là un canal (du Midi), puis deux (de Brienne), puis trois (Latéral).
C’est à cette occasion et pour que l’eau du deuxième puisse alimenter le troisième sans se mêler à celle du premier, que l’on créa le bassin des Filtres.

Quinze jours pour remonter la Garonne de Bordeaux à Toulouse, cinq jours pour suivre le canal du Midi de Toulouse à Sète sur une distance à peu près équivalente. Cette situation contrastée du transport de marchandises entre Atlantique et Méditerranée avait depuis longtemps donné envie de prolonger le canal depuis Toulouse jusqu’à Bordeaux. Riquet en avait rêvé, Vauban (qui termina son oeuvre) l’écrivit noir sur blanc : « Ce canal est l’une des plus belles choses qui se soient faites en France depuis l’établissement de la monarchie, et qui aurait été la plus belle de l’univers, si on lui eût donné toute la perfection qu’on aurait pu », c’est à dire « faire passer des bâtiments d’une mer à l’autre sans rompre charge ».

Mais les États de Languedoc, véritables financeurs du canal et de tous les grands projets d’infrastructure du XVIIIe siècle étant annihilés dès le début de la Révolution, ce n’est que sous Charles X qu’est signée en 1828 l’ordonnance lançant les études d’un canal Latéral à la Garonne. Et c’est sous son successeur Louis-Philippe, en 1832, qu’est déposé le projet et qu’une loi permet de lancer les opérations sous la direction d’un ingénieur des Ponts et chaussées en poste à Agen, Jean-Baptiste de Baudre, qui va coordonner ce vaste chantier, du lancement de la construction en 1839 à sa mort en 1850. Si techniquement, l’opération est une réussite, c’est financièrement et économiquement qu’elle semble marquée dès le départ par une sorte de scoumoune. C’est d’abord le bordelais Alexandre Doin, l’entrepreneur privé porteur du projet, qui meurt à peine celui-ci validé. Ne trouvant personne pour le remplacer, l’État finit par prendre le projet à sa charge … jusqu’à sérieusement douter de son intérêt sous la Seconde République tandis que le réseau ferré se développe à toute vitesse. La solution, particulièrement bancale, est trouvée en 1852 : si elle permet d’achever le chantier en 1856, elle lie le sort du nouveau canal Latéral à la voie ferrée qui est ouverte la même année de Bordeaux à Toulouse et qui a été attribuée à la Compagnie du Midi des frères Pereire. Militants ultra-actifs du rail depuis ses tout débuts, ceux-ci triplent le prix du transport sur le canal Latéral pour qu'il ne soit pas inférieur à celui du train et entravent de fait son développement à un moment crucial, d'autant plus lorsque l'État accepte que la Compagnie du canal du Midi leur confie également en 1858 le canal de Toulouse jusqu'à Sète.

À Toulouse, comme pour le premier canal (lorsque les Capitouls avaient exigé qu’il passe le plus loin possible de leurs murailles), le nouveau canal Latéral ne suscita pas un enthousiasme délirant puisqu’il menaçait les « bénéfices réels » que « la principale branche de négoce de cette grande ville » faisait sur « les marchandises qui passent à Toulouse en transit ». Ni succès (économique) ni échec (technique), ni miracle ni catastrophe pour Toulouse, ce troisième canal arrivé un peu tard magnifia en tout cas l’un de ses sites emblématiques, celui des Ponts jumeaux désormais triplés, en créant le port de l’Embouchure et le paisible bassin des Filtres représenté ci-dessus.

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
illustrations : Philippe Biard.
Merci à Samuel Vannier de VNF et à la Direction du Patrimoine.

Sur des parcelles achetées dès 1831, le bassin des Filtres est creusé en 1842 dans le cadre des travaux de raccordement entre canal du Midi 1 canal de Brienne 2 (alimenté par la Garonne) et nouveau canal Latéral à la Garonne 3 dont les travaux ont débuté trois ans plus tôt. Pour alimenter celui-ci, les eaux du canal de Brienne décantent d’abord dans le premier bassin 4 puis traversent les filtres 5 pour rejoindre le canal Latéral par le bassin de recollement 6 et la conduite souterraine 7 passant sous le nouveau port de l’Embouchure. Le trop-plein du bassin de décantation et les limons se déversent dans le canal de fuite du moulin du Bazacle 8 . Pour le contrôle, une maison éclusière 9 (toujours présente, aujourd'hui pour l’écluse du canal de Brienne) et une maison du barragiste 10 qui contrôle le barrage filtrant les limons. Dessin page de gauche : détail de ce barrage avec les batardeaux 11 (les planches bloquent l'eau et les boues tombent au fond du bassin) et les vannes 12 qui les remplaceront au XXe siècle.