César Hidalgo - L’intelligence artificielle décryptée

Bio express
Docteur en physique, spécialiste de la complexité économique et de l’intelligence artificielle, César Hidalgo a dirigé pendant dix ans le Center for Collective Learning du prestigieux MIT, à Boston. Originaire du Chili, ce scientifique mondialement réputé, également professeur à Harvard et à Manchester, vient de rejoindre l’université de Toulouse. Au sein de l’institut ANITI (Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute), il prend la direction de la chaire consacrée aux apports de l’intelligence artificielle à la gouvernance globale.

Carte blanche

Intelligence artificielle (IA), big data : ces mots font aujourd’hui partie de notre quotidien sans que l’on sache exactement de quoi il en retourne. Au-delà des mythes, César Hidalgo décrypte les enjeux de ces nouvelles technologies, et surtout leur apport à nos sociétés aujourd’hui et demain.

L’intelligence artificielle, pour quoi faire ?
Plus que l’intelligence artificielle, ce qui importe aujourd’hui, c’est de rechercher l’intelligence collective, qui repose sur l’idée que des groupes de personnes, dans certaines conditions, ont la capacité à être beaucoup plus performants que les individus pris séparément, et même que des groupes d’experts. L’intelligence artificielle est un des nombreux moyens qui peuvent nous aider à atteindre cette intelligence collective : elle fait aujourd’hui partie de notre société. La question qui se pose est celle de l’interaction entre les humains et les machines pour parvenir à ce but.

Pouvez-vous donner des exemples concrets des possibilités de l’IA ?
L’intelligence artificielle est aujourd’hui capable de contribuer à de multiples tâches de coordination, avec par exemple des IA conversationnelles qui évitent d’avoir à répéter les mêmes choses. Dans les dernières années, elle est devenue très performante aussi dans la génération et le traitement d’images, mais aussi dans la génération de texte. Dans ce domaine, certains programmes peuvent même proposer des idées à partir d’une amorce de sujet qui leur est soumis. Dans une équipe, on recherche auprès de ses collègues ou partenaires des sources d’inspiration ou des angles d’attaque qui nous donnent de nouvelles idées. Certains types d’intelligence artificielle sont capables de faire cela. Ils ne remplacent pas l’humain mais le complètent en faisant des suggestions.

Quelles en sont les applications dans la vie quotidienne ?
Le web et l’intelligence artificielle ont déjà modifié beaucoup de choses dans nos vies quotidiennes, de la manière de s’informer à nos modes de consommer et d’acheter, en passant par nos rencontres amoureuses : en utilisant les datas, les algorithmes proposent des recommandations basées sur l’expérience de nos choix passés. Dans le domaine de l’action publique, le potentiel est immense, mais les choses sont plus complexes, d’abord parce que peu de gouvernements ont opéré une véritable digitalisation permettant de développer de nouveaux moyens de communication, d’interaction et de participation. C’est une étape nécessaire pour créer des relations plus fluides entre gouvernants et citoyens, qui permettra de faire plus de place à l’intelligence artificielle. Mais cela ne peut pas se faire de la même manière que pour le commerce en ligne ou les sites de rencontres ! Ceux-ci fonctionnent grâce à l’apprentissage par renforcement, qui permet de recommander toujours des choses similaires. Appliqué aux décisions publiques, cela irait à l’encontre de l’intelligence collective.

Comment voyez-vous la société augmentée de demain ?
Je crois que la technologie peut nous aider à « augmenter » la société, c’est-à-dire à la rendre collectivement plus intelligente. Depuis 15 ans, j’ai mené des recherches pour créer des outils digitaux favorisant la participation, la diffusion de données, mais aussi l’analyse. Par exemple, les datas nous permettent de mieux comprendre les facteurs qui déterminent la géographie des activités économiques (capital, travail, institutions financières, connaissance), sans avoir à définir quels sont ces facteurs. On peut prédire également quel type d’activité a des chances de se développer ou au contraire de décliner à un endroit donné. À partir de ce champ de recherche que j’ai appelé la complexité économique, j’ai développé des plateformes en ligne pour intégrer, distribuer et visualiser de grands volumes de datas. L’étape suivante est d’utiliser les technologies en ligne pour proposer de nouveaux modes de participation citoyenne et de renouvellement démocratique. Dans le cadre du programme ANITI, la chaire « Augmented society » travaille sur ces thématiques pour développer de nouveaux outils d’aide à la décision basés sur le big data et l’intelligence artificielle.

L’intelligence artificielle suscite aussi des inquiétudes…
Je comparerais les technologies avec le feu, qui présente effectivement des dangers, mais qui en même temps est très utile pour faire la cuisine ! Nous devons éviter de courir après les technologies pour elles-mêmes : ni l’IA ni le big data ne sont des buts en soi, pas plus que la monnaie ou l’électricité. Il ne s’agit que de moyens mis au service de l’intelligence collective. Celle-ci constitue le véritable objectif durable de long terme, qui semble beaucoup plus compliqué à comprendre et à atteindre. Si nous avons une idée claire de cet objectif, nous pourrons utiliser les technologies de manière efficace.

VERBATIM
Le potentiel de Toulouse dans la révolution industrielle de l’IA est fantastique, un peu à l’image de ce qu’était la Silicon Valley dans les années 1950. Tous les éléments sont en déjà en place, il ne tient plus qu’à nous de le réaliser.