Le post-impressionnisme en grand

Tout juste restaurée, la galerie Henri-Martin au Capitole est l'une des grandes réussites de la peinture officielle du temps. Choisi aussi parce qu'il était toulousain, le peintre y a conjugué post-impressionnisme et monumentalité.

Quand on était peintre en France jusqu’au XVIIIe siècle, il était difficile de ne pas travailler à la décoration des églises catholiques. Quand on était peintre en France au XIXe siècle, il était difficile de ne pas travailler à la décoration des hôtels de ville, d’autant plus lorsque pouvoir et Église entrèrent directement en confrontation au début de la IIIe République : l'hôtel de ville, « symbole de la vie démocratique, face à l’église, monument du passé », dut être aussi décoré et surchargé de symboles que celle-ci. Oublions donc un instant les impressionnistes allant déjeuner sur l’herbe : le gros de la profession des années 1870 aux années 1900 vivait fort bien de cette peinture officielle bien rémunérée au mètre carré. À Toulouse, la mairie venait de reconstruire presque tout son Capitole et décida comme les autres d’en refaire la décoration, mais avec une spécificité locale. Partout en effet, ces commandes officielles étaient financées à la fois par la municipalité et l'État, celui-ci se réservant du coup le choix des artistes. À Toulouse, la municipalité exigea et obtint que ces artistes soient toulousains, ou aient du moins vécu à Toulouse ou pas très loin. Problème : malgré cette commune origine, les styles n’avaient pas grand chose de commun, comme on peut le voir dans la salle des Illustres refaite au cours des années 1890. D’où peut-être le choix de confier en 1900 la décoration de la salle des pas perdus à un seul artiste. Fils d’un ébéniste du faubourg Saint-Michel, Henri Martin correspond au profil recherché : origine populaire, méritant (c’est grâce à l'école des Beaux-Arts de Toulouse qu’il échappe à son destin d’ébéniste et part ensuite étudier à Paris aux frais de la municipalité), expérimenté (élève et ami d’un autre toulousain, Jean-Paul Laurens, il a participé avec lui au chantier de la salle des Illustres) et, comme si ce n’était pas suffisant, artiste à succès depuis son choix de marier post-impressionnisme et monumentalité, fervent républicain et ami de sommités politiques comme Georges Leygues et Jean Jaurès… Jaurès qui figure en bonne place sur le panneau des Bords de Garonne et qui est assassiné en 1914, année où les 154,4 m2 de toiles peintes par Henri Martin sont enfin montés dans la salle qui va bientôt porter son nom et qui a l’avantage d’être à la fois l'une des plus réussies des salles peintes du Capitole et l'une des plus réussies des salles peintes par Henri Martin.


La salle des pas perdus, future salle Henri-Martin (plusieurs états sont représentés sur cette perspective). D'abord vers 1907 lors des travaux 1 de transformation (construction de la verrière 2 insertion de bustes venus de l’ancienne salle des Illustres 3 ). Travaux qui vont se prolonger et empêcher l’installation des toiles envoyées cette année-là 4 (elles seront roulées et conservées ailleurs pendant 7 ans). Puis en 1914 lorsque le peintre peut enfin venir surveiller le montage des toiles… avec quelques surprises puisqu’il est obligé d'en prolonger certaines qui s'avèrent trop courtes (il colle de la toile et peint directement sur place pour combler les parties manquantes 5 ) avant l’inauguration peu après avec les officiels 6 . Il reviendra en 1941 à la suite d’un dégât des eaux, restaurera Les faucheurs et en profitera pour faire quelques retouches 7 .


Après des études sur le terrain à Toulouse pour le côté nord (les bords de la Garonne du matin au soir 8 ) et en Quercy pour le côté sud 9 (les environs de sa maison de Labastide du Vert du printemps à l'hiver) Henri Martin avait réalisé l'ensemble de la composition entre 1902 et 1907 dans son atelier parisien 10 .

Réalisation : Studio Différemment
Texte : Jean de Saint Blanquat
Illustrations : Jean-François Binet,
Marine Delouvrier, Jean-François Péneau
Merci à la Direction du Patrimoine.